Crise des visas en France : analyse du rapport Hermelin

6 novembre 2023 | Immigration en France

Avec des délais de traitement de plus en plus longs et des procédures devenues extrêmement complexes, la France est confrontée à une crise des visas sans précédent.

Dans le cadre du nouveau projet de loi sur l’immigration, l’État a mandaté Paul Hermelin, président du Conseil d’Administration de Capgemini, pour auditer le système de délivrance des visas français. Intitulée « Propositions pour une amélioration de la délivrance des visas », cette étude a été publiée en avril 2023 avec des recommandations pour faire face à cette situation.

ITAMA a analysé pour vous les principales propositions qui impacteraient l’immigration professionnelle.

Recommandation n°11 : « systématiser l’attribution d’un VLS-TS d’une durée d’un an au Passeport-Talent »

A ce jour, la plupart des visas de travail délivrés par les consulats de France à l’étranger dans le cadre des demandes « passeport talent » sont des visas d’une durée de 3 mois. A leur arrivée en France, les ressortissants étrangers doivent solliciter un titre de séjour en préfecture.

Or, les administrations (Préfectures et services de l’ANEF) sont submergées par le nombre de demandes et incapables de délivrer les titres de séjour dans les temps.

Le rapport suggère donc d’accorder systématiquement un visa d’1 an valant titre de séjour (VLS-TS) à la place du visa de 3 mois. Cette mesure laisserait plus de temps aux demandeurs et aux administrations pour traiter les demandes de titre de séjour. Elle ne traite cependant pas le problème à la source et le décale simplement dans le temps.

Cette disposition obligerait également le demandeur à renouveler son VLS-TS dès la fin de la 1ère année et à payer les timbres fiscaux une nouvelle fois. Elle rendrait ainsi moins attractives les offres des entreprises françaises mises en concurrence avec d’autres employeurs en Europe.

Cette proposition se limite simplement au fait de soulager les administrations, elle contourne le problème tout en pénalisant les demandeurs. Il serait plus utile d’avancer des solutions visant à fluidifier les procédures actuelles de demande de titre de séjour.

Recommandation n°12 et 13 : « réduire à 5 les catégories de Passeport-Talent & élargir le vivier des potentiels Passeport-Talent en assouplissant les conditions de ressources pour les débuts de carrière »

Il existe aujourd’hui 10 catégories de « Passeport-Talent » suivant la situation du demandeur :

  1. salarié qualifié / recrutement dans une entreprise innovante
  2. emploi hautement qualifié – Carte bleue européenne
  3. salarié en mission
  4. chercheur
  5. création d’entreprise
  6. projet innovant reconnu par un organisme public
  7. investisseur
  8. mandataire social
  9. profession artistique et culturelle
  10. personne de renommée internationale

Le rapport préconise de réduire ce nombre à 5, en regroupant tous les statuts de salariés en 1 seule catégorie.

Dans cette hypothèse, il n’y aurait plus de distinction entre l’embauche d’un salarié junior (passeport talent – salarié qualifié), celle d’un cadre hautement qualifié (passeport talent – carte bleue européenne) ou encore une mobilité intra-groupe (passeport talent – salarié en mission). Ces cas de figure sont pourtant tout à fait différents.

Cette proposition vise à simplifier les demandes de visas pour réduire le travail des agents qui réceptionnent les dossiers. En effet, ces derniers manquent souvent de formation sur les conditions d’éligibilité requises pour chacun de ces statuts. C’est donc une façon de réduire le délai de traitement des dossiers au détriment de la qualité.

Recommandation n°19 : « attribuer des rendez-vous prioritaires aux demandeurs de visas long séjour « Passeport-Talent » »

Lors de la création du Passeport-Talent en 2017, les Consulats ont reçu comme instruction de traiter ces demandes en priorité. Bien qu’elle soit pertinente, cette recommandation n’est plus réellement respectée. Il serait donc plus judicieux de comprendre pourquoi les administrations ne l’applique pas plutôt que de réitérer une disposition déjà existante.

Recommandation n°27 : « homogénéiser les informations sur les sites consulaires, les sites des prestataires et France-Visas »

Aujourd’hui, les multiples sources d’information décrivant les différentes démarches ne sont pas cohérentes et arrivent même à se contredire.

Parallèlement, les sociétés de sous-traitance mandatées par les Consulats (VFS, TLS, etc…) sont mal accompagnées par l’État. Les agents manquent d’expertise et commettent régulièrement des erreurs dans le traitement des dossiers.

Imposer une homogénéisation de l’information, activer un accompagnement et un contrôle qualité des Prestataires de Services Externalisés (PSE) par l’État semble effectivement nécessaire.

Recommandation n°32 : « prioriser dans la feuille de route du programme France-Visas : la dématérialisation de l’ensemble des demandes de visa et l’interfaçage de France-Visas avec l’Administration Numérique pour les Étrangers en France (ANEF) »

La digitalisation des procédures d’immigration est loin d’être efficace.

Dès que la démarche inclue une demande d’entrée et de séjour, le demandeur doit lancer 2 procédures sur 2 plateformes différentes : France-Visas dans un 1er temps et l’ANEF dans un 2nd temps.

Le rapport conseille de fusionner les 2 sites, ce qui permettrait effectivement :

  • D’éviter les incompréhensions,
  • D’effectuer une seule fois le dépôt des pièces justificatives,
  • D’assurer une cohérence dans le suivi du dossier.

Recommandation n°33 : « expérimenter un dispositif automatique d’attribution des rendez-vous aux demandeurs par les Prestataires de Service Externalisé (PSE) »

Une fois sa demande de visa pré remplie, le demandeur doit prendre rendez-vous pour déposer son dossier. La prise de rendez-vous se fait en ligne via le système du PSE en charge du dossier. Les délais sont actuellement très longs et peuvent être supérieurs à 2 mois dans certains pays (Mexique, Brésil, Etats-Unis, Maroc, Italie, Arménie, Australie etc …)

Afin de réduire le temps d’attente, le rapport conseille une attribution de rendez-vous automatique. En cas d’indisponibilité, une seule autre date serait proposée.

En théorie, l’organisation serait largement simplifiée pour les administrations. Mais dans la pratique, un tel changement durcirait fortement la procédure pour les demandeurs, et engendrerait à coup sûr un nombre de réclamations très important.

Recommandation n°34 : « mettre en place un indicateur précis de suivi des délais d’attribution des rendez-vous auprès des prestataires de services externalisés »

Il n’existe pas d’indicateur précis et fiable pour suivre les délais d’obtention des visas, contrairement à la remise des passeports par exemple.

Le rapport suggère de mettre en place un nouvel indicateur pour suivre :

  • Les délais d’attribution du numéro France-Visas sur le formulaire en ligne,
  • Les délais de transmission des dossiers à instruire au Consulat,
  • Le taux d’abandon des démarches.

Cet indicateur montrerait précisément où se trouvent les failles dans le processus de délivrance des visas.

Recommandation n°35 : « expérimenter un algorithme de pré-sélection des dossiers de demande de visa »

Toujours dans l’objectif de gagner du temps dans le traitement des dossiers, Paul Hermelin propose d’expérimenter un algorithme gérant la pré-sélection des demandes de visa. Ces demandes seraient classées en dossiers « complexes » ou « simples », selon des critères proposés par l’Entry Exit System (EES).

Suite à ce classement, les dossiers les plus « simples » seraient confiés à des agents peu expérimentés et donc moins vigilants.

Faire confiance à un algorithme et baisser les exigences auprès des agents ne ferait qu’augmenter les erreurs dans la prise de décision de validation des demandes.

Ici encore, la recommandation ne traite pas le problème à sa source, mais tente d’y remédier par la mise en place d’un nouveau « système » le contournant.

Conclusion

Dans l’ensemble, le rapport Hermelin nous laisse plutôt sceptiques, voire en total désaccord. Les recommandations proposées n’apportent pas de solutions concrètes, mais contournent les causes profondes de la crise des visas.