Projet de loi « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » : les impacts sur l’immigration professionnelle

8 février 2024 | Immigration en France

Le projet de loi « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » annoncé en août 2022 par Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, arrive en fin de parcours. Depuis le 26 janvier dernier, les dispositions de la loi validées par le Conseil Constitutionnel sont entrées en vigueur.
Cette réforme a engendré d’importants changements, suscitant débats et réflexions au sein de la société.

À travers cet article, ITAMA a analysé les mesures impactant les procédures en lien avec l’immigration professionnelle.

 

LE CONTRAT D’ENGAGEMENT AU RESPECT DES PRINCIPES DE LA RÉPUBLIQUE

Le contenu du contrat

La nouvelle loi introduit un contrat d’engagement au respect des principes de la République pour tout ressortissant étranger sollicitant un document de séjour.
Cet engagement couvre divers aspects, de la liberté personnelle au respect de la liberté d’expression et de conscience. Il interdit au signataire d’utiliser ses croyances ou convictions pour contourner les règles régissant les relations entre les services publics et les particuliers.

Les impacts potentiels

Les conséquences du refus de signature ou du non-respect de ce contrat peuvent être :

  • La non-délivrance d’un document de séjour,
  • Le refus de renouvellement,
  • Le retrait du titre de séjour, en cas « d’agissements délibérés de l’étranger portant une atteinte grave à un ou à plusieurs principes de ce contrat et constitutifs d’un trouble à l’ordre public ».

Lorsque la décision de refus de renouvellement ou de retrait concerne une carte de séjour pluriannuelle ou une carte de résident, l’autorité administrative prend en compte :

  • La gravité et/ou la réitération des manquements au contrat,
  • La durée du séjour effectuée sous le couvert d’un document de séjour en France.

Les statuts de « réfugié » et « bénéficiaire de la protection subsidiaire » sont exclus de ces potentiels retraits et refus.

Les modalités d’application, liées à la signature et au respect de ce contrat d’engagement au principe de la République, seront fixées par Décret en Conseil d’État.
Pour les primo-arrivants, le scénario le plus probable est que le Consulat de France du pays d’origine du ressortissant étranger sera l’autorité responsable de la signature de cet engagement.
De manière exceptionnelle, dans le cas des ressortissants étrangers autorisés à entrer sur le territoire français sans visa et sollicitant un titre de séjour, l’autorité compétente serait alors la préfecture.
Pour les ressortissants étrangers déjà présents sur le territoire français sous couvert d’un titre de séjour, la préfecture devrait être garante de la signature et du respect du contrat.

 

LE RENFORCEMENT DU PARCOURS D’INTÉGRATION

L’examen à la suite de la formation civique

La nouvelle loi vient renforcer le parcours d’intégration républicaine, en élargissant le contenu de la formation civique et en introduisant un examen post-formation. La réussite de cet examen sera susceptible de conditionner :

  • Le renouvellement de la carte de séjour temporaire des ressortissants étrangers sous le statut « Salarié » et « Entrepreneur – Profession libérale (en ce qui concerne l’immigration professionnelle),
  • La délivrance d’une carte de séjour pluriannuelle,
  • La délivrance d’une carte de résident.

 Le seuil de réussite de l’examen sera fixé par Décret en Conseil d’État. Le ressortissant étranger qui n’atteint pas le résultat minimum requis sera autorisé à le repasser, à sa demande et à tout moment. L’objectif reste de faciliter l’intégration du ressortissant étranger en l’accompagnant au maximum dans son parcours.

Le durcissement des conditions de délivrance d’une première Carte de Séjour Pluriannuelle (CSP)

La délivrance d’une première carte de séjour pluriannuelle dépend désormais aussi de la réussite à l’examen à la suite de la formation civique et de la démonstration d’un niveau de connaissance du français suffisant. Ce niveau ne sera pas fixé par Décret en Conseil d’État comme c’est le cas habituellement.
Le ressortissant étranger devra atteindre un niveau « lui permettant au moins de comprendre des expressions fréquemment utilisées dans le langage courant, de communiquer lors de tâches habituelles et d’évoquer des sujets qui correspondent à des besoins immédiats ».
Cela laisse place à une appréciation plus subjective de la part de la préfecture.

La limitation du nombre de renouvellements d’une même carte de séjour temporaire (CST)

La nouvelle loi limite à trois les renouvellements consécutifs de CST avec une mention identique. Cela concerne principalement les ressortissants étrangers sous statut « Salarié » et « Entrepreneur – Profession libérale » (en ce qui concerne l’immigration professionnelle). L’échec à l’examen post-formation civique ou le manque de maîtrise du français peut bloquer la délivrance d’une première CSP et le quatrième renouvellement de la CST pour les étrangers sous Contrat d’Intégration Républicaine (CIR), les obligeant ainsi à quitter le territoire.

Cette mesure vise à sanctionner les ressortissants étrangers réfractaires à s’intégrer dans la société. Cette limitation concernera probablement une minorité de personnes dans la mesure où le dispositif laisse près de quatre années au ressortissant étranger pour :

  • Se familiariser aux valeurs, principes et institutions de la République ainsi qu’à l’organisation, l’histoire et la culture de la notre société,
  • Maîtriser la langue française afin de répondre aux besoins courants de sa vie professionnelle et personnelle.

La formation linguistique des salariés allophones

Pour les salariés étrangers engagés dans un parcours de formation linguistique avec le CIR, les actions permettant la poursuite de celui-ci sont considérées comme du temps de travail effectif, impliquant un maintien de la rémunération.
Lorsque cette formation est financée par le Compte Professionnel de Formation (CPF), le salarié bénéficie d’une autorisation d’absence de droit lorsque la formation intervient sur le temps de travail. La durée de cette autorisation sera fixée par Décret en Conseil d’État.

En sus de la formation linguistique prodiguée dans le cadre du parcours d’intégration républicain, la loi autorise les employeurs à proposer des formations linguistiques aux salariés allophones.
Cette disposition a pour but de faciliter davantage leur intégration, voire de l’accélérer. Un Décret en Conseil d’État viendra confirmer la durée maximale de formation :

  • Considérée comme du temps de travail effectif,
  • Pour laquelle l’autorisation d’absence est de droit.

 

LES NOUVEAUX MOTIFS DE REFUS ET RETRAIT DE TITRES DE SEJOUR

La loi introduit une condition de résidence habituelle en France définie de la manière suivante :
« Est considéré comme résidant en France de manière habituelle l’étranger :

  • 1° Qui y a transféré le centre de ses intérêts privés et familiaux,
  • Et qui y séjourne pendant au moins six mois au cours de l’année civile, durant les trois dernières années précédant le dépôt de la demande ou, si la période du titre en cours de validité est inférieure à trois ans, pendant la durée totale de validité du titre. ».

La loi ne précise pas sur la base de quels documents le ressortissant étranger pourra justifier de sa résidence habituelle en France.

L’absence de preuve de résidence habituelle en France constitue un nouveau motif de refus de renouvellement d’une CSP. Cependant, de nombreux statuts sont exclus du champ d’application de cette disposition. C’est notamment le cas des ressortissants étrangers titulaires de titres de séjour mention « Passeport Talent » (devenus « Talent »).
Les principaux motifs additionnels de refus de renouvellement pour les cartes de séjour temporaires et pluriannuelles découlant de la nouvelle loi sont les suivants :

  • Une ou des condition(s) de délivrance du titre ne sont pas remplie(s) (à noter que la condition d’activité reste remplie pour certains statuts en cas de privation involontaire d’emploi),
  • Le ressortissant étranger a fait obstacle aux contrôles,
  • Il ne s’est pas présenté aux convocations de l’administration,
  • Il refuse de souscrire au contrat d’engagement aux principes de la République ou son comportement manifeste qu’il n’en respecte pas les obligations,
  • Il commet des faits susceptibles de donner lieu à une condamnation pénale.

 

LA RÉGULARISATION DES SALARIÉS TRAVAILLANT DANS DES SECTEURS EN TENSION

Un dispositif spécial mis en place, à titre temporaire, permet la délivrance d’une carte de séjour « travailleur temporaire » ou « salarié » d’une durée de validité de 1 an aux travailleurs en situation irrégulière.
Pour bénéficier de ce dispositif, le travailleur étranger doit :

  • Exercer une profession figurant dans la liste nationale des métiers en tension,
  • Avoir travaillé minimum 12 mois sur les 24 derniers mois. Les périodes de séjour et l’activité professionnelle salariée exercée sous couvert d’un document de séjour portant la mention « étudiant », « demandeur d’asile » ou « travailleur saisonnier » ne sont pas prises en compte,
  • Résider en France depuis minimum 3 ans.

La délivrance du titre de séjour relève de la compétence et de la discrétion du préfet, qui vérifiera la véracité de toutes les conditions à remplir. Cette attribution de titre entraine automatiquement la délivrance d’une autorisation de travail. Ce dispositif exceptionnel est en vigueur jusqu’au 31/12/2026. Il permet de régulariser temporairement les ressortissants étrangers ne disposant pas de titre de séjour adapté mais aussi de répondre aux besoins spécifiques du marché du travail plus facilement.

 

LA MISE À JOUR ANNUELLE DES MÉTIERS EN TENSION

La loi prévoit que la liste des métiers en tension, dont la dernière mise à jour date du 1er avril 2021, sera dorénavant revue de manière annuelle. Ce sera fait sur la base de consultations approfondies avec les organisations syndicales représentatives d’employeurs et de salariés. Cette mesure vise à s’adapter aux besoins du marché du travail et à mieux anticiper les demandes dans des secteurs spécifiques.

 

LE RAPPORT ANNUEL SUR LA POLITIQUE MIGRATOIRE DU GOUVERNEMENT

Le gouvernement présente chaque année un rapport détaillé sur sa politique migratoire au Parlement, exposant des données variées, de la délivrance des visas aux autorisations de travail.
Le projet de loi proposait un texte imposant « un débat Parlementaire annuel sur la fixation de quotas du nombre d’étrangers admis en France pour les trois années à venir ». Cet article a été partiellement censuré, pour son fond, par le Conseil Constitutionnel au motif que « le législateur ne peut imposer au Parlement l’organisation d’un débat en séance publique ou la fixation par ce dernier de certains objectifs chiffrés en matière d’immigration ».

 

LA NOUVELLE NOMENCLATURE ET LES NOUVELLES CATÉGORIES DES « PASSEPORT TALENT »

La nouvelle dénomination

La réforme introduit une nouvelle nomenclature pour les cartes de séjour pluriannuelles « Passeport Talent » qui deviennent les « Talent » évitant ainsi les confusions entre ce titre de séjour et le passeport classique. Ce changement de nomination n’implique aucune modification des conditions d’éligibilité de ces statuts.

La création de nouveaux profils

Deux nouveaux profils de « Talent » ont été créés pour harmoniser les démarches :

  • Le profil « Talent – Salarié qualifié », qui remplace et regroupe les anciennes catégories « salarié qualifié », « étranger recruté par une entreprise innovante » et « salarié en mission »,
  • Le profil « Talent – Porteur de projet », qui remplace et regroupe les anciennes catégories « créateur d’entreprise », « projet économique innovant » et investisseur.

La création d’une nouvelle carte intitulée « Talent – profession médicale et de la pharmacie » a également été validée par le Conseil Constitutionnel.
Elle permet à un ressortissant étranger bénéficiant :

  • D’une décision d’affectation,
  • D’une attestation permettant un exercice temporaire ou d’une autorisation d’exercer mentionnées aux articles L. 4111-2 et L. 4221-12 du code de la santé publique,
  • D’un emploi au titre d’une des professions mentionnées aux articles L. 4111-1 et L. 4221-12-1 du même code,
  • D’un seuil de rémunération fixé par Décret.

de se voir délivrer une carte de séjour de 4 ans, sous réserve de la signature de la charte des valeurs de la République et du principe de laïcité.
Cette mesure permet de lutter contre la pénurie de main d’œuvre dans le secteur de la santé en France.

 

LE LANCEMENT D’UNE EXPÉRIMENTATION

Le Conseil Constitutionnel a validé la disposition de la nouvelle loi visant à lancer une expérimentation. Elle a pour objectif de limiter les refus de première demande de titre de séjour ou de renouvellement. L’expérimentation aura lieu dans 5 à 10 départements, pour une durée maximale de 3 ans.  Un arrêté du ministère en charge de l’immigration sera adopté pour définir la liste des départements concernés.

Elle donne le droit aux administrations, dans le cas où le demandeur d’un titre de séjour ne remplit pas toutes les conditions pour l’obtenir, de lui proposer et délivrer un autre type de titre en alternative.

 

LES DISPOSITIONS CENSURÉES PAR LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Plusieurs mesures ont été censurées par le Conseil Constitutionnel, pour « fond non conforme à la Constitution » ou qualifiées de « cavaliers législatifs » (n’ayant pas de lien avec la philosophie du texte initial) notamment :

  • La fixation d’un quota pour la délivrance de documents de séjour,
  • La caution retour demandée aux étudiants étrangers,
  • La justification annuelle du caractère réel et sérieux des études pour ces mêmes étudiants,
  • Le durcissement des critères d’éligibilité du regroupement familial,
  • Le durcissement des critères d’éligibilité pour les conjoints de français,
  • Le durcissement des conditions d’accès à certaines prestations sociales,
  • La création du délit de séjour irrégulier,
  • La légalisation des actes et décisions de justice étrangers relatifs à l’état civil,
  • L’obtention automatique d’un visa long séjour pour les citoyens britanniques propriétaires d’une résidence secondaire en France.

 

CONCLUSION

Le projet de loi « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » présente des changements importants dans la politique migratoire française. Les ajustements, tels que le contrat d’engagement au respect des principes de la République, le renforcement du parcours d’intégration, la régularisation des travailleurs en situation irrégulière et les nouveaux motifs de refus et retrait de titres de séjour, sont des éléments cruciaux de cette réforme.

Cependant, la mise en œuvre précise de certaines mesures reste conditionnée à l’adoption de futurs Décrets d’application du Conseil d’État. Ces détails, comprenant les critères d’évaluation ou encore les procédures concrètes, sont nécessaires pour appréhender pleinement l’impact réel de cette réforme sur l’immigration professionnelle en France.

 


 
L’avis d’ITAMA

Malgré 18 mois de débats, les changements apportés par cette loi ne sont pas une révolution, mais plutôt un ajustement de la politique migratoire française pour ce qui concerne l’immigration professionnelle.
De plus, bien que nous trouvions que chacune des mesures adoptées et validées par le Conseil Constitutionnel semble juste et sensée, nous déplorons le fait qu’elles ne suivent pas de véritable fil conducteur.

En ce qui concerne notre activité, l’impact le plus significatif se fera sentir dans la gestion des dossiers liés au « Passeport Talent ». Le changement de nom de ce document impose une cohabitation entre l’ancienne nomenclature « Passeport Talent » et la nouvelle « Talent ». C’est un réel défi opérationnel, tant pour les demandeurs que pour les autorités en charge de la délivrance des documents de séjour.